DECOUVRIR L'UNIVERS DE

REINE DE PARIS 

Photo : "Le boudoir de Reine" de Marie Kovacs

 

Parfois, rarement, il arrive de croiser au détour de quelque sentier ou ruelle, à Paris, France, une créature semblant surgir directement d’un autre espace-temps.

Celle-là semble inviter le monde, ou juste le passant, à lui offrir un nécessaire hommage ; quelquefois le monde plonge en révérence sur son passage, et d’autres fois le passant passe, le regard au loin.

Reine de Paris est de ces créatures. Aucune demi-mesure ni quelconque lésinerie dans ses étincelantes apparitions quotidiennes, au grand émerveillement de sa boulangère, du conducteur de bus et des badauds qui s’attroupent en murmurantes nuées. La rue est son théâtre...

Reine se pare de rêve, son geste en devient décision. Son pas est un voyage, et nous la suivons, peu importe où elle nous mène, une autre réalité est possible.

Sur son chemin, et dans son sillage, nous ne nous étonnerons pas que tant d’artistes se soient penchés sur cette figure, à l’instar de ces innombrables chasseurs de selfies et paparazzi improvisés. Reine leur fait don très aimablement de sa représentation, en encourageant la déformation, jusqu’à l’extrême si désiré, ou tout simplement une proposition de regard hors-cadre.

L’exposition Reine de Paris s’expose en 2020, a réuni une vingtaine d'artistes en confrontant leurs visions singulières. Parce que c’était eux, parce que c’était elle... Autant d’images de Reine dans lesquelles elle apparaissait tantôt grimaçante et grinçante, tantôt suave et séraphique.

 

 

Avec: Olivier Allemane, Marie Josse Aim, Théophile Arcelin, Philippe Berson, Olivia Clavel, Gaetano Costa, Eric Bathory Delajoux, Thibault Delferière, Dom Garcia , Isa Kaos, Arnaud Kern, Bonbon CM, Simone Mannino, Allegra Pedretti, Louisa Pili, Clément Roussier, SweeDee, Anne Van Der Linden, Marie-France Vernabel, Emmanuel Gillet et Fréderic Vignale, Alexandra Yonnet.

 

Et en 2021, Reine de Paris Métamorphose au 59 Rivoli, a proposé 9 nouveaux artistes dans cette aventure artistique : David Pirotte, Irena Pirotte, Marie Kovacs, Estelle Chauvey, Vincent Carlier, Corinne Malfreyt, Stephan Zimmerli, Xavier Mennessier, Anna Baldaccini, Martin Ross-Parker.

 

et la plupart des artistes de la saison 1 : Olivier Allemane, Marie Josse Aim, Théophile Arcelin, Philippe Berson, Bonbon CM, Olivia Clavel, Gaetano Costa, Eric Bathory Delajoux, Thibault Delferière, Dom Garcia ,Isa Kaos, Arnaud Kern, Simone Mannino, Allegra Pedretti, Louisa Pili,  SweeDee, Emmanuel Gillet et Fréderic Vignale, Alexandra Yonnet.

 

Et en 2022, l'exposition "Reine de Paris Inclusion" au 15 Martel s'est tenue et la plupart des artistes des deux saisons précédentes ont exposé et des nouveaux artistes se sont greffés à notre collectif : Kolr.Libre, Mca Audigane peintresse, Demant, Xavier Devaud, Salmo Suyo, Zinzan Blue , Catherine Corringer et  Kashink

 

Cette année 2023, notre nouvelle exposition "Reine de Paris Multiculturelle" se tiendra aux "Ateliers d'artistes de Belleville" avec 

Philippe Berson, Olivia Clavel, Dom Garcia , Arnaud Kern, Bonbon CM,  Emmanuel Gillet et Fréderic Vignale, Alexandra Yonnet, David Pirotte, Irena Pirotte, Marie Kovacs, Vincent Carlier, Kolr.Libre, Zinzan Blue, Marie Thuillier, Mari Famulari ,Nadine, Tipi, Volo Dia William Penkli , Dana Sereda , Dolly Sene , Eugène Lampov , Franciska Calcul Javier Ramirez  

IL ETAIT UNE FOIS REINE DE PARIS

 

Dans le treizième arrondissement de Paris, près de la place d’Italie où elle vit, tout le monde la connaît. Enfin… l’a déjà remarquée. Certains, avec un regard interrogateur ou un sourire gêné. Qui est-elle ? Que veut-elle ? Quelle histoire cache-t-elle ? Que faut-il en penser ? Faut-il forcément en penser quelque chose ? Pour celle qui se fait appeler Reine de Paris, sa façon de s’habiller n’est ni un personnage ni une dérobade, ni même une œuvre d’art. C’est elle, « c’est tout ». Née il y a 58 ans sous un prénom – « Emmanuelle » – qu’elle déteste presqu’autant que le quartier dans lequel elle grandit – le seizième arrondissement –, elle a tôt fait de les trouver l’un et l’autre « trop bourgeois ».

 Dès l’adolescence, elle souhaite marquer sa différence ; par son look, d’abord, mais aussi, « parfois », par sa manière d’être. « Je viens d’une famille atypique », explique-t-elle. Avant de se reconvertir dans la restauration, sa mère était chanteuse, son père faisait un numéro comique. Elle, était issue d’une famille ouvrière venue d’Italie et de Hongrie – « ma grand-mère maternelle était femme de ménage ». Lui, descendait de grands bourgeois levantins – « ma grand-mère paternelle vivait à Constantinople » -, qui s’étaient « frottés à la noblesse » et comptaient dans leurs rangs un consul, un directeur d’usine et même un peintre, Constantin Guys, « ami de Baudelaire ».

Back in the days…

Sur le pas de sa porte, son paillasson annonce la couleur : « Appartement royal ». Sur les placards de sa cuisine, des fleurs de lys filent la métaphore. Sur le tapis du salon, des fleurs de lys, encore. Assise devant une tasse de thé, de rose vêtue et maquillée, elle continue de se raconter : l’ouverture du Palace, alors qu’elle n’a que quatorze ans, les premières soirées, la musique punk à fond dans les rues du seizième, les tenues « extravagantes » signées par de jeunes créateurs…

L’heure est à l’exubérance : François Mitterrand est passé au pouvoir, les radios libres fleurissent, un vent de fraîcheur souffle sur la France. La jeune femme suit son inspiration, adopte des looks bicolores, dresse ses cheveux sur sa tête, y plante tout un tas de baguettes. Elle participe à des défilés, figure dans le mythique clip Marcia Baila des Rita Mitsouko, se frotte au monde du show-biz, donne naissance à des jumelles. Avec son compagnon d’alors, le sculpteur Philippe Berson, elle fonde au début des années 90 une galerie d’art associative nommée la Vache Multicolore. Le python royal qui se balade dans leur appartement de Barbès donne des sueurs froides aux visiteurs – des serpents, aujourd’hui, elle en a encore six, qu’elle aime à observer et toucher.

« Des gens comme moi, il n’y en a presque plus, estime-t-elle. On trouve des drag queens en soirée », mais elle, c’est au grand jour, sur les trottoirs de son quartier et les allées de son supermarché, qu’elle assume son style. Sa normalité à elle. « Je ne pourrai jamais sortir autrement ! assume-t-elle. C’est comme ça, ça me plaît. » Les regards curieux ou goguenards, elle s’en fiche, dit-elle. « Quand on me fait une remarque désobligeante, je réplique : Avant de critiquer, regardez-vous dans une glace. Après, on en reparle ! »

Pour autant, elle a choisi une activité professionnelle – « du secrétariat, de la conciergerie immobilière » – qu’elle peut exercer loin du regard des autres. Bien sûr, tout le monde n’est pas critique : parfois, on la prend en photo, on lui demande pourquoi elle s’habille comme ça, si c’est religieux ou combien de temps ça lui prend… « J’attire des gens différents, convient-elle. Des bipolaires, des personnes malades ou faisant partie d’une minorité. Je suis sensible à la souffrance. Même si ma différence à moi, je l’ai choisie, il m’arrive de subir une forme de discrimination. » Deux médecins, par exemple, ont refusé de la soigner.

“On m’appelait déjà Reine…”

Il y a des silences, des ellipses qui ne trompent personne. La vie de Reine de Paris a des gouffres dans lesquels elle ne souhaite pas replonger, des démons qu’elle ne souhaite plus affronter, des douleurs qu’elle ne veut plus ressasser. Elle poursuit son histoire : au début des années 2000, son nouveau compagnon – entre temps, la Vache Multicolore a mis la clé sous la porte et le père de ses filles est parti vivre à Palerme – lui susurre l’idée de porter une couronne. « On m’appelait déjà Reine », précise-t-elle – un surnom donné par un ami à elle. « Mon compagnon m’a dit : “les gens auront plus de respect.” Et c’est vrai. » Ils trouvent un joaillier, mais la parure n’est pas donnée. Elle patiente. En 2007, une première couronne rejoint sa garde-robe. « J’avais déjà remplacé les robes de créateurs, trop onéreuses, par des saris de couleur », précise-t-elle. De longues pièces d’étoffe qu’elle glane du côté de la rue du Faubourg Saint-Denis, dans le quartier indien de Paris. « Aujourd’hui, sourit-elle, j’en ai une centaine ! »

Dans la pièce qui lui sert de boudoir, trônent désormais douze couronnes serties de pierres. Des violettes, des roses, des bleues… A côté, un tas de sacs assortis. Et des tiroirs entiers de bijoux, « classés par couleur, toujours, comme mes bas et mes sous-vêtements ! » s’amuse-t-elle. Là, chaque matin, devant un petit miroir, Reine de Paris prend vie. « Chaque soir, avant de me coucher, je définis quels seront le sari, la pochette et les piercings du lendemain, détaille-t-elle. Tous les jours, une couleur différente. » Et une heure de préparation pour devenir celle que les enfants traitent parfois de « fée »…

Et que ferait-elle, voyons, si elle avait une baguette magique ?

Devenir une icône, peut-être. Le peintre Arnaud Kern lui a déjà consacré une série de tableaux. Pour les expositions, présentées à la Galerie 59 Rivoli à Paris le 27 août 2020, et le 28 septembre 2021, des artistes ont été priés de créer une œuvre autour d’elle. « Même si je ne le fais pas pour ça, j’aime attirer l’attention, admet-elle. Et tant qu’à susciter des réactions, autant que ma tenue me ramène une certaine notoriété, voire un confort financier ! Je prie tous les jours pour ça. »

Car Reine de Paris est bouddhiste. Bouddhiste depuis le jour où, à la soirée d’anniversaire d’une connaissance, elle a senti sur elle des regards différents. « C’était il y a onze ans, relate-t-elle. C’était très bizarre, les invités de cette fête ne me regardaient pas d’un œil interrogateur ou curieux. J’avais l’impression d’être comme tout le monde. C’était même déstabilisant ! Je m’en suis ouverte à mon hôte. Elle m’a dit : “C’est normal, ils sont bouddhistes”. Elle m’a proposé d’assister à l’une de leurs réunions. » Elle y découvre un bouddhisme inspiré d’un moine japonais du treizième siècle : Nichiren Daishonin. « Chaque pratiquant prie devant un parchemin sacré qui représente sa vie, explique-t-elle. Ce qui m’a intéressée, c’est qu’il ne s’agit pas de suivre un code de conduite dicté par l’extérieur, ni d’attendre l’intervention de Dieu. Tout part de soi, de sa responsabilité individuelle. Par la répétition d’une prière, on ancre une intention. »

 

En 2011, face à une avalanche d’ennuis – perte de son logement et de son emploi, précarité financière, séparation d’avec son compagnon -, la pratique lui a permis, estime-t-elle, de transcender les difficultés. « Cela m’apporte une sérénité et une détermination encore plus grande, ajoute-t-elle, car malgré ma tenue et tout ça, je n’avais peut-être pas assez confiance en moi… »

Depuis cinq ans, Reine de Paris a rejoint une autre communauté dans laquelle elle ne se sent pas jugée : le parti Génération-s, fondé par Benoît Hamon. « C’est un homme extraordinaire, dit-elle avec beaucoup d’émotion. J’ai toujours été de gauche mais n’avais jamais milité pour aucun parti. J’ai une fibre sociale, j’ai envie que tout le monde soit heureux, et d’aider les autres à transcender leurs difficultés. Benoît Hamon est profondément humain. Il a toujours un mot gentil. »

Et il l’accepte telle qu’elle est. Benoit Hamon ayant quitté la politique, Reine de Paris a rejoint le parti EELV, où elle est engagée pour l'écologie politique.

 

Réjane Éreau

Artistes de l'exposition "REINE DE PARIS S'EXPOSE"   "REINE DE PARIS METAMORPHOSE" au 59Rivoli 

et "REINE DE PARIS INCLUSION" au 15 Martel

et  "REINE DE PARIS MULTICULTURELLE"

aux AAB